Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/425

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confiance en lui : ils ne lui ont mis devant les yeux que des juges, des menaces & des châtimens : ils l’ont soumis, pour chaque démarche, à l’inquisition de la police. Ces loix qui, sur cinq chefs de famille, en établissent un comme magistrat sur les quatre autres ; ces loix qui, pour un seul crime, punissent toute une famille ou tout un quartier ; ces loix qui ne trouvent point d’innocens là où il peut y avoir un coupable, sont faites pour que tous les hommes se méfient les uns des autres, pour que chacun recherche la conduite de chacun, & qu’il en soit l’inspecteur, le témoin & le juge.

Le peuple des Indes, au contraire, est doux[1], tendre, compatissant. Aussi ses législateurs ont-ils eu une grande confiance en lui. Ils ont établi peu[2] de peines, & elles sont peu séveres ; elles ne sont pas même rigoureusemenr exécutées. Ils ont donné les neveux aux oncles, les orphelins aux tuteurs, comme on les donne ailleurs à leurs peres : ils ont réglé la succession par le mérite reconnu du successeur. Il semble qu’ils ont pensé que chaque citoyen devoit se reposer sur le bon naturel des autres.

Ils donnent aisément la liberté[3] à leurs esclaves ; ils les marient ; ils les traitent comme leurs enfans[4] : heureux climat, qui fait naître la candeur des mœurs, & produit la douceur des loix !


  1. Voyez Bernier, tome II, page 140.
  2. Voyez, dans le quatorzieme recueil des lettres édifiantes, pag. 403, les principales loix ou coutumes des peuples de l’Inde de la presqu’isle deçà le Gange.
  3. Lettres édifiantes, neuvieme recueil, pag. 378.
  4. J’avois pensé que la douceur de l’esclavage aux Indes avoit fait dire à Diodore qu’il n’y avoit, dans ce pays, ni maître, ni esclave : mais Diodore a attribué à toute l’Inde ce qui, selon Strabon, liv. XV, n’étoit propre qu’à une nation particuliere.