Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/48

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remplacé par un autre : mais le citoyen avoit fait son devoir.

Il fut reçu, le 3 avril 1716, dans l’académie de Bordeaux qui ne faisoit que de naître. Le goût pour la musique & pour les ouvrages de pur agrément, avoit d’abord rassemblé les membres qui la formoient. M. de Montesquieu crut, avec raison, que l’ardeur naissante & les talens de ses confreres pourroient s’exercer avec encore plus d’avantage sur les objets de la phylique. Il étoit persuadé que la nature, si digne d’être observée par-tout, trouvoit aussi par-tout des yeux dignes de la voir ; qu’au contraire les ouvrages de goût ne souffrant point de médiocrité, & la capitale étant en ce genre le centre des lumieres & des secours, il étoit trop difficile de rassembler loin d’elle un assez grand nombre d’écrivains distingués. Il regardoit les sociétés de bel esprit, si étrangement multipliées dans nos provinces ; comme une espece, ou plutôt comme une ombre de luxe littéraire, qui nuit à l’opulence réelle, sans même en offrir l’apparence. Heureusement M. le duc de la Force, par un prix qu’il venoit de fonder à Bordeaux, avoit secondé des vues si éclairées & si justes. On jugea qu’une expérience bien faite seroit préférable à un discours foible ou à un mauvais poëme ; & Bordeaux eut une académie des sciences.

M. de Montesquieu, nullement empressé de se montrer au public, sembloit attendre, selon l’expression d’un grand génie, un âge mûr pour écrire. Ce ne fut qu’en 1721, c’est-à-dire, âgé de trente-deux ans, qu’il mit au jour les lettres Persanes. Le Siamois des amusemens sérieux & comiques pouvoit lui en avoir fourni l’idée ; mais il surpassa son modele. La peinture des mœurs orientales, réelles ou supposées, de l’orgueil et du flegme de l’amour Asiatique, n’est que le moindre objet de ces lettres ; elle n’y sert, pour ainsi dire, que de prétexte à une satyre fine de nos mœurs, & à des matieres im-