Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/521

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chaud en ayant trois, une forte pour acheter, une légere pour vendre, & une juste pour ceux qui sont sur leurs gardes. Je crois pouvoir expliquer cette contradiction.

Les législateurs de la Chine ont eu deux objets : ils ont voulu que le peuple fût soumis & tranquille, & qu’il fût laborieux & industrieux. Par la nature du climat & du terrein, il a une vie précaire ; on n’y est assuré de la vie qu’à force d’industrie & de travail.

Quand tout le monde obéit, & que tout le monde travaille, l’état est dans une heureuse situation. C’est la nécessité, & peut-être la nature du climat, qui ont donné à tous les Chinois une avidité inconcevable pour le gain ; & les loix n’ont pas songé à l’arrêter. Tout a été défendu, quand il a été question d’acquérir par violence ; tout a été permis, quand il s’est agi d’obtenir par artifice ou par industrie. Ne comparons donc pas la morale des Chinois avec celle de l’Europe. Chacun à la Chine a dû être attentif à ce qui lui étoit utile : si le frippon a veillé à ses intérêts, celui qui est duppe devoit penser aux siens. A Lacédémone, il étoit permis voler ; à la Chine, il est permis de tromper.


CHAPITRE XXI.

Comment les loix doivent être relatives aux mœurs & aux manieres.


IL n’y a que des institutions singulieres qui confondent ainsi des choses naturellement séparées, les loix, les mœurs & les manieres : mais, quoiqu’elles soient séparées, elles ne laissent point d’avoir entre elles de grands rapports.

On demanda à Solon si les loix qu’il avoit données aux Athéniens étoient les meilleures. "Je leur ai donné, répondit-il, les meilleures de celles qu’ils pouvoient souffrir : " belle parole, qui devroit être entendue de