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faisoit en vingt jours, un navire Grec ou Romain le faisoit en sept[1]. Dans cette proportion, un voyage d’un an pour les flottes Grecques & Romaines étoit à peu près de trois pour celles de Salomon.

Deux navires d’une vitesse inégale ne font pas leur voyage dans un temps proportionné à leur vitesse : la lenteur produit souvent une plus grande lenteur. Quand il s’agit de suivre les côtes, & qu’on se trouve sans cesse dans une différente position ; qu’il faut attendre un bon vent pour sortir d’un golfe, en avoir un autre pour aller en avant, un navire bon voilier profite de tous les temps favorables ; tandis que l’autre reste dans un endroit difficile, & attend plusieurs jours un autre changement.

Cette lenteur des navires des Indes qui, dans un temps égal, ne pouvoient faire que le tiers du chemin que faisoient les vaisseaux Grecs & Romains, peut s’expliquer par ce que nous voyons aujourd’hui dans notre marine. Les navires des Indes, qui étoient de joncs, tiroient moins d’eau que les vaisseaux Grecs & Romains, qui étoient de bois, & joints avec du fer.

On peut comparer ces navires des Indes à ceux de quelques nations d’aujourd’hui, dont les ports ont peu de fond : tels sont ceux de Venise, & même en général de l’Italie[2], de la mer Baltique, & de la province de Hollande[3]. Leurs navires, qui doivent en sortir & y rentrer, sont d’une fabrique ronde & large de fond ; au lieu que les navires d’autres nations qui ont de bons ports sont, par le bas, d’une forme qui les fait entrer profondément dans l’eau. Cette méchanique fait que ces derniers navires navigent plus près du vent, & que les premiers ne navigent presque que quand ils ont le vent en poupe. Un navire qui entre beaucoup dans l’eau navige vers le même côté à presque tous les


  1. Voyez Pline, liv. VI, chap. XXII ; & Strabon, liv. XV.
  2. Elle n’a presque que des rades : mais la Sicile a de très-bons ports.
  3. Je dis de la province de Hollande ; car les ports de celle de Zélande sont assez profonds.