Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menes que fait voir aujourd’hui le Vésuve ; & le récit qu’il fait de ces deux femmes velues, qui se laisserent plutôt tuer que de suivre les Carthaginois, & dont il fit porter les peaux à Carthage, n’est pas, comme on l’a dit, hors de vraisemblance.

Cette relation est d’autant plus précieuse, qu’elle est un monument punique ; & c’est parce qu’elle est un monument punique, qu’elle a été regardée comme fabuleuse. Car les Romains conserverent leur haine contre les Carthaginois, même après les avoir détruits. Mais ce ne fut que la victoire qui décida s’il falloit dire la foi punique, ou la foi romaine.

Des modernes[1] ont suivi ce préjugé. Que sont devenues, disent-ils, les villes qu’Hannon nous décrit, & dont, même du temps de Pline, il ne restoit pas le moindre vestige ? Le merveilleux seroit qu’il en fût resté. Etoit-ce Corinthe ou Athenes, qu’Hannon alloit bâtir sur ces côtes ? Il laissoit, dans les endroits propres au commerce, des familles Carthaginoises ; &, à la hâte, il les mettoit en sûreté contre les hommes sauvages & les bêtes féroces. Les calamités des Carthaginois firent cesser la navigation d’Afrique ; il fallut bien que ces familles périssent, ou devinssent sauvages. Je dis plus : quand les ruines de ces villes subsisteroient encore, qui est-ce qui auroit été en faire la découverte dans les bois & dans les marais ? On trouve pourtant, dans Scylax & dans Polybe, que les Carthaginois avoient de grands établissemens sur ces côtes. Voilà les vestiges des villes d’Hannon ; il n’y en a point d’autres, parce qu’à peine y en a-t-il d’autres de Carthage même.

Les Carthaginois étoient sur le chemin des richesses : &, s’ils avoient été jusqu’au quatrieme degré de latitude nord, & au quinzieme de longitude, ils auroient découvert la côte d’Or & les côtes voisines. Ils y auroient fait un commerce de toute autre importance que celui qu’on y fait aujourd’hui, que l’Amérique semble

  1. M. Dodwel ; voyez sa dissertation sur le Périple d’Hannon.