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LETTRES PERSANES

du Créateur de l’Univers, qui, quoiqu’il puisse conduire les hommes par son amour, ne laisse pas de se les attacher encore par les motifs de l’espérance et de la crainte.

Je ne finirai pas cette lettre sans te faire remarquer la bisarrerie de l’esprit des Français. On dit qu’ils ont retenu des loix romaines un nombre infini de choses inutiles et même pis, et ils n’ont pas pris d’elles la puissance paternelle, qu’elles ont établie comme la première autorité légitime.

De Paris, le 4 de la lune de Gemmadi 2, 1719.

LETTRE CXXX

Rica a ***.

Je te parlerai dans cette lettre d’une certaine nation qu’on appelle les Nouvellistes, qui s’assemblent dans un S jardin magnifique, où leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très-inutiles à l’Etat, et leurs discours de cinquante ans n’ont pas un effet différent de celui qu’auroit pu produire un silence aussi long. Cependant ils se croyent considérables, parce qu’ils s’entretiennent de projets ma gnifiques et traitent de grands intérêts.

La base de leurs conversations est une curiosité frivole et ridicule : il n’y a point de cabinet si mystérieux qu’ils ne prétendent pénétrer ; ils ne sçauroient consentir à ignorer quelque chose ; ils sçavent combien notre auguste sultan a de femmes, combien il fait d’enfans toutes les années ; et, quoiqu’ils ne fassent aucune dépense en espions, ils sont instruits des mesures qu’il prend pour humilier l’empereur des Turcs et celui des Mogols.