Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/150

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dans le sérail une lettre qui auroit porté la terreur avec elle, si elle avoit été ouverte ; celle que tu as écrite depuis a été surprise à trois lieues d’ici : je ne sais ce que c’est, tout se tourne malheureusement.

Cependant tes femmes ne gardent plus aucune retenue : depuis la mort du grand eunuque, il semble que tout leur soit permis ; la seule Roxane est restée dans le devoir, et conserve de la modestie. On voit les mœurs se corrompre tous les jours. On ne trouve plus sur le visage de tes femmes cette vertu mâle et sévère qui y régnoit autrefois : une joie nouvelle, répandue dans ces lieux, est un témoignage infaillible, selon moi, de quelque satisfaction nouvelle ; dans les plus petites choses, je remarque des libertés jusqu’alors inconnues. Il règne, même parmi tes esclaves, une certaine indolence pour leur devoir et pour l’observation des règles, qui me surprend ; ils n’ont plus ce zèle ardent pour ton service, qui sembloit animer tout le sérail.

Tes femmes ont été huit jours à la campagne, à une de tes maisons les plus abandonnées. On dit que l’esclave qui en a soin a été gagné ; et qu’un jour avant qu’elles arrivassent, il avoit fait cacher deux hommes dans un réduit de pierre qui est dans la muraille de la principale chambre, d’où ils sortoient le soir lorsque nous étions retirés. Le vieux eunuque qui est à présent à notre tête, est un imbécile, à qui l’on fait croire tout ce qu’on veut.

Je suis agité d’une colère vengeresse contre tant de perfidies : et, si le ciel vouloit, pour le bien de ton service, que tu me jugeasses capable de gouverner, je te promets que, si tes