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dans notre Alcoran un grand nombre de choses puériles, qui me paroissent toujours telles, quoiqu’elles soient relevées par la force et la vie de l’expression. Il semble d’abord que les livres inspirés ne sont que les idées divines rendues en langage humain : au contraire, dans nos livres saints, on trouve souvent le langage de Dieu et les idées des hommes ; comme si, par un admirable caprice, Dieu y avoit dicté les paroles, et que l’homme eût fourni les pensées.

Tu diras peut-être que je parle trop librement de ce qu’il y a de plus saint parmi nous ; tu croiras que c’est le fruit de l’indépendance où l’on vit dans ce pays. Non, grâces au Ciel, l’esprit n’a pas corrompu le cœur ; et, tandis que je vivrai, Ali sera mon prophète.

À Paris, le 15 de la lune de Chahban 1716.

LETTRE XCIX.

USBEK À IBBEN.
À Smyrne.


Il n’y a point de pays au monde où la fortune soit si inconstante que dans celui-ci. Il arrive tous les dix ans des révolutions qui précipitent le riche dans la misère, et enlèvent le pauvre, avec des ailes rapides au comble des richesses. Celui-ci est étonné de sa pauvreté ; celui-là l’est de son abondance. Le nouveau riche admire la sagesse