Page:Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/51

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Il y a des gens qui prétendent que la seule ville de Rome contenoit autrefois plus de peuple qu’un grand royaume de l’Europe n’en a aujourd’hui. Il y a eu tel citoyen romain, qui avoit dix, et même vingt mille esclaves, sans compter ceux qui travaillaient dans les maisons de campagne ; et, comme on y comptoit quatre ou cinq cent mille citoyens, on ne peut fixer le nombre de ses habitants sans que l’imagination ne se révolte.

Il y avoit autrefois dans la Sicile de puissants royaumes, et des peuples nombreux, qui en ont disparu depuis : cette île n’a plus rien de considérable que ses volcans.

La Grèce est si déserte, qu’elle ne contient pas la centième partie de ses anciens habitants.

L’Espagne, autrefois si remplie, ne fait voir aujourd’hui que des campagnes inhabitées ; et la France n’est rien, en comparaison de cette ancienne Gaule dont parle César.

Les pays du Nord sont fort dégarnis ; et il s’en faut bien que les peuples y soient, comme autrefois, obligés de se partager et d’envoyer dehors, comme des essaims, des colonies et des nations entières chercher de nouvelles demeures.

La Pologne et la Turquie en Europe n’ont presque plus de peuples.

On ne sauroit trouver dans l’Amérique la deuxcentième partie des hommes qui y formoient de si grands empires.

L’Asie n’est guères en meilleur état. Cette Asie mineure, qui contenoit tant de puissantes monarchies, et un nombre si prodigieux de grandes villes, n’en a plus que deux ou trois. Quant à la grande Asie, celle qui est soumise au Turc n’est pas plus pleine ; et pour celle qui est sous la