Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/432

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que le sien ! Par la perte de son corps, elle vient d’être privée de tous les plaisirs des sens, qui lui rendoient cette vie si délicieuse, et il ne peut lui rester que ce qui est encore plus à elle : ce désir 5 irritant d’être heureux et cette impuissance de le devenir ; cette vue douloureuse d’elle-même qui ne lui montre que sa petitesse ; ce vide, ce dégoût, cet ennui qu’elle trouve en elle ; cette impossibilité de se satisfaire dans elle et par la seule force de son

10 être. Accablante immortalité ! S’il n’est pas bien sûr qu’il n’y ait point de Dieu, si notre philosophie a pu nous laisser là-dessus quelque doute, il faut espérer qu’il y en a un. Nous sommes Une grande preuve que ce Dieu que

i à nous espérons est un être bienfaisant : car il nous a donné la vie, c’est-à-dire une chose qu’il n’y a personne de nous qui voulût perdre ; il nous a donné l’existence et (ce qui est bien plus) le sentiment de notre existence.

20 Si Dieu est un être bienfaisant, nous devons l’aimer, et, comme il ne s’est pas rendu visible, l’aimer, c’est le servir avec cette satisfaction intérieure que l’on sent lorsque l’on donne à quelqu’un des marques de sa reconnoissance.

25 Cet être seroit bien imparfait s’il n’avoit créé ou, si l’on veut, seulement mû ou arrangé l’Univers dans quelque vue, et si, agissant sans dessein ou dégoûté de son ouvrage, il nous abandonnoit au sortir de ses mains.

3o Cette providence qui veille sur nous est extrêmement puissante : car, comme il a fallu une force infinie