Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/434

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l’Univers ? Elle n’est celle-ci, ni celle-là ; elle n’est rien de distingué de l’être, et, dans l’universalité de la substance, ont été, ont passé sans distinction le lion et l’insecte, Charlemagne et Chilpéric. 5 Ce même philosophe veut bien, en ma faveur, détruire en moi la liberté. Toutes les actions de ma vie ne sont que comme l’action de l’eau régale, qui disout l’or, comme celle de l’aimant, qui tantôt attire, tantôt repousse le fer, ou celle de la chaleur,

10 qui amollit ou durcit la boue. Il m’ôte le motif de toutes mes actions et me soulage de toute la morale. Il m’honore jusqu’au point de vouloir que je sois un très grand scélérat sans crime et sans que personne ait droit de le trouver mauvais. J’ai bien des grâces

i5 à rendre à ce philosophe.

Un autre, beaucoup moins outré et, par conséquent, beaucoup plus dangereux que le premier (c’est Hobbes), m’avertit de me défier généralement de tous les hommes, et non seulement de tous les

a0 hommes, mais aussi de tous les êtres qui sont supérieurs au mien : car il me dit que la justice n’est rien en elle-même, qu’elle n’est autre chose que ce que les loix des empires ordonnent ou défendent. J’en suis fâché : car, étant obligé de vivre avec les

2b hommes, j’aurois été très aise qu’il y eût eu dans leur cœur un principe intérieur qui me rassurât contre eux, et, n’étant pas sûr qu’il n’y ait dans la Nature d’autres êtres plus puissants que moi, j’aurois bien voulu qu’ils eussent eu une règle de justice qui les

3o empêchât de me nuire.

Hobbes dit que, le Droit naturel n’étant que la