Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/443

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de la fraude et de l’artifice, au moins, à notre égard : car, par malheur, nous nous soucions beaucoup moins qu’ils soyent tels à l’égard des autres. Mais nous voulons encore qu’ils soyent empressés, serviables, tendres, affectionnés, sensibles, et nous 5 regarderions comme un malhonnête homme un ami qui se contenteroit d’observer à notre égard les règles d’une justice exacte. Il y a donc de certains devoirs différents de ceux qui viennent directement de la justice, et ces devoirs sont fondés sur la bien- 10 séance et ne dérivent de la justice qu’en ce sens qu’il est juste, en général, que les hommes ayent des égards les uns pour les autres, non seulement dans les choses qui peuvent leur rendre la Société plus utile, mais aussi dans celles qui peuvent la leur i5 rendre plus agréable.

» Il faut, pour cela, chercher à prévenir par nos égards tous les hommes, tous les hommes avec lesquels nous vivons : car, ordinairement, comme nous n’avons pas plus de droit d’exiger de la com- 20 plaisance des autres, qu’eux de nous, si chacun s’attendoit mutuellement, aucune des deux parties n’auroit d’égards pour l’autre ; ce qui rendroit la Société dure et feroit un peuple barbare.

» De là naît dans une société cette douceur et cette facilité de mœurs qui la rend heureuse et fait que 25 tout le monde y vit content et de soi et des autres.

» La grande règle est de chercher à plaire autant qu’on le peut faire sans intéresser sa probité : car il est de l’utilité publique que les hommes ayent du crédit et de l’ascendant sur l’esprit les uns des 3o