Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/491

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se compter et celle d’une chose à laquelle l’esprit ne peut rien ajouter sont deux idées contradictoires : d’autant qu’il n’est pas possible d’imaginer un nombre si grand qu’on n’y en puisse pas ajouter un autre. Je raisonne de la même manière sur l’éten- i due. L’idée d’une chose qui peut se mesurer et celle d’une chose à laquelle l’esprit ne peut rien ajouter sont contradictoires : car on ne peut jamais concevoir une mesure si grande qu’on ne puisse y en ajouter une autre. 10

L’idée de l’Indéfini est l’idée d’une chose dont on ne voit point les bornes ; l’idée de l’Infini est l’idée d’une chose qu’on voit n’avoir point de bornes. On voit que cette dernière idée ne sauroit convenir à ce qui se compte, et à ce qui se mesure. Reste donc i5 à savoir si on peut l’appliquer à un esprit, et je dis que nous n’avons point d’idée des esprits, comme tout le monde en convient. Si nous n’avons pas d’idée d’un genre, nous ne saurions en avoir des espèces et, par conséquent, de l’esprit fini ni de l’esprit infini. 20

Il faut donc admirer la conduite admirable de celui qui se nomme, dans l’Écriture, « le Dieu caché ; Deus absconditus >. Il s’est contenté, pendant tant de siècles, de persuader les hommes de son existence ; il les a, ensuite, instruits par la foi, »5 qui est un de ses dons, mais dont la lumière échauffe le cœur, sans éclairer l’esprit ; qui fait ignorer tout ce qu’elle apprend, et semble nous avoir été donnée pour admirer, non pas pour connoître, pour soumettre, et non pas pour instruire. 3o

Dieu, qui est un pur esprit, ne pouvoit se faire