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Page:Montpetit -Le Front contre la vitre, 1936.djvu/15

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ALLER ET RETOUR

mathématique de pont supérieur : la crainte du raseur grandit en raison directe de l’espace. Quelques types sans atomes crochus. Le transatlantique recèle dans son âme de huit jours une vie de liens rompus. Quelques lectures, inachevées ; des travaux distraits. Que faire sinon regarder, depuis notre prison, l’océan qui nous subit ?

Il est devenu mon ami. Je l’interroge. Le jour, l’immensité vide et grise se déchire au-dessus de nous et le soleil brille un instant par une fenêtre qui s’ouvre sur le bleu profond du ciel. Le vent puissant souffle de l’ouest. Une joie universelle se multiplie vers l’horizon. Je me place au centre d’un spectacle que peut-être je ne retrouverai plus. Les mouettes éperdues semblent jaillir des crêtes. Partout, des ailes ballottées, comme si l’écume disséminée faisait une réplique aux oiseaux dans l’étourdissant mouvement. Le bateau passe d’une vague à l’autre, soutenu sur un corps énorme qui se gonfle, puis entraîné dans une courbe molle. Plaisir unique de se sentir emporté dans la force et la couleur, de naviguer dans la beauté jusqu’à la lassitude. Les vagues bondissent l’une contre l’autre, unissant leurs crinières d’un frisson bref. Celle-ci est bleue à la base, puis verte, puis blanche une minute. Tout son dôme se colore, illuminé de ses parois qui vont crouler, qui croulent sous un fracas d’écume. Au loin, tout près, tout autour, ce bleu, ce vert, ce blanc, ce mouvement inépuisable, qui dure parce qu’il renaît sans fin, échevelé, fou, comme une exaltation vers le soleil que la mer applaudirait de mille mains blanches.