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Page:Montpetit -Le Front contre la vitre, 1936.djvu/167

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LE GRAND SILENCE BLANC

de viande comme dans les Monnaies la poussière d’or, qui guette dans les bois le missionnaire attardé, réduit à manger ses vêtements, à se nourrir d’une vessie de sang que la superstition a suspendue à un arbre, ou à demander quelques heures de vie à « une once d’onguent d’arnica » ; ni l’immensité où l’on s’engage, guidé par le vent ou par l’instinct des bêtes ; ni le dénuement dont on a l’habitude, qui laisse seulement à Mgr Provencher une paire de sabots de bois et à Mgr Grandin, le jour de son sacre, une crosse taillée la veille dans une épinette et badigeonnée de jaune ; ni la solitude éternelle. La solitude, leur âme s’y adapte peu à peu, comme si elle communiait à son silence infini. Pas une plainte d’être seul. Oui peut-être, celle-ci, vaillante encore, d’une sœur grise : « Il faut aimer les âmes pour s’expatrier ainsi ».

Frédéric Rouquette, évoque dans l’Épopée blanche le rêve de cette solitude, un rêve qui n’est qu’une tentation :

« La Robe noire est seule dans cette solitude. Depuis trois ans elle vit dans cette pauvreté. Depuis trois ans l’homme de la prière n’a rien reçu. Le steamboat qui portait à York le ravitaillement a fait naufrage. Il faut compter sur soi si l’on veut vivre.

« Être tout seul, tout seul, sans espoir, sans ami. Une angoisse l’étreint ! S’il allait mourir là !

« N’a-t-il pas accepté le long et lent martyre ? N’a-t-il pas lui-même choisi cette vie pénitente, cette vie humiliante ?