Aller au contenu

Page:Montpetit -Le Front contre la vitre, 1936.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
LE FRONT CONTRE LA VITRE

Le mieux que l’on puisse espérer, c’est qu’ils mettent dans leurs gestes le noble instinct d’une tradition ; mais la tradition est dans un singulier péril quand l’âme ne la perçoit plus. Au contact des mœurs étrangères, elle ne saura même pas qu’elle périt lentement.

Déjà elle se traduit moins bien. La sensibilité émoussée renonce à s’exprimer. Elle se réfugie dans la commodité d’une éloquence toute faite, abreuvée de fausseté jusqu’à l’enivrement de ce qu’elle croit être la vérité, et ignore l’inspiration de la réalité où se poursuit le drame de sa destinée meurtrie. Elle en arrive à se nourrir de ces mots creux. Erreur fatale, qui s’installe dès l’école et dévie l’esprit de l’enfance. Les mots ne s’apprennent pas, ils se vivent : on ne les possède vraiment que si on les a utilisés. La langue multiplie nos connaissances à l’infini des êtres et des choses. Le vocabulaire irradie les nuances du monde extérieur et les fait passer en nous. L’intelligence à son tour reprend les mots, et les ordonne dans le domaine de la spéculation où le Français met tant de complaisance. Des idées naissent, s’unissent, se complètent par la réflexion ; et la volonté se détermine aux clartés de la vie intérieure.

Ceux qui ne s’inquiètent plus des mots, de leur précision, de leur pureté, de leur valeur d’expression, se rendent-ils compte que leur attitude est une abdication, voire une trahison, parce qu’ils ont oublié, s’ils l’ont jamais sue, la règle qui les aurait retenus dans la fidélité. Leur langue, engorgée d’anglicismes, s’anémie comme un organisme livré aux globules