Page:Moréas - Les Premières Armes du symbolisme, 1889.djvu/54

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vous attaque en ce moment, Monsieur, sur un point que vous n’êtes pas seul à défendre. Je ne serai soutenu qu’à moitié par M. Émile Deschanel. Vous avez beaucoup de monde et spécialement M. Francisque Sarcey avec vous. C’est ce qu’on appelle, en style parlementaire, une majorité de coalition. Car M. Sarcey n’est assurément pas un symboliste. Vous le mettez sans doute avec Nicolas. Moi aussi. Oui, M. Sarcey a dit ici même beaucoup de mal des vers de Mahomet. Il y en a un dont il était particulièrement choqué, celui-ci :

Tu verras de chameaux un grossier conducteur.

À la vérité, ce n’est pas un beau vers. Mais, on mettrait sans crainte aujourd’hui :

Tu verras un grossier conducteur de chameaux.

Et je ne suis pas certain que cela vaudrait mieux. Pour moi, c’est bonnet blanc et blanc bonnet.....

Je vous entends, cher monsieur Jean Moréas ; c’est à que vous allez triompher. Moi, direz-vous, je ne mettrai ni chameaux, ni conducteur, ni quoi que ce soit qui désigne des bêtes et l’homme. J’en donnerai seulement l’idée. Et si je vous demande comment vous en donnerez l’idée, vous me répondrez que ce sera par de lointaines et secrètes analogies de ton, de forme, par voie d’allusion et avec un retour à je ne sais quelles idées primordiales, enfin grâce à quelques-uns des beaux secrets du symbolisme ! Eh ! oui, cher monsieur Jean Moréas, vous avez de beaux secrets, votre vers sera merveilleux. Mais on n’y comprendra rien. Vous ferez le chef-d’œuvre inconnu. Et, parbleu !