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Par la porte entr’ouverte sur ce crépuscule de juin, le village apparaissait, ses toits bruns escaladant le mont sous les fumées bleues du soir. Tout en haut la falaise de rochers était encore vaguement éclairée, et les tourelles du fort dessinaient leurs dômes arrondis, ayant l’air de bêtes embusquées.

Curieuse, la vieille s’informait des événements survenus dans leur village, depuis la dernière campagne. Elle parlait de ce pays distant de quelques lieues, comme s’il eût été à l’autre bout de la terre.

Elle apprit le prochain mariage de Pierre avec une satisfaction visible. Affable à la façon des commerçants qui doivent faire bon visage à tout le monde, elle demandait des détails sur la fiancée avec une attention bienveillante.

Quand les deux pêcheurs eurent soupé, ils montèrent se coucher dans la petite chambre qui leur était réservée sous la tuile du toit. Pierre revit avec joie les murs blanchis à la chaux, l’étroite lucarne donnant sur les jardins, d’où montait l’odeur sucrée des haies de chèvrefeuille. Tout cela, s’endormant dans la lumière bleue du crépuscule, avait une douceur ineffable.

Dominique se coucha, ayant rangé soigneusement ses engins de pêche. Pierre, qui ne tenait pas en place, sortit pour prendre l’air.

Jamais, comme en ce moment-là, il n’avait senti l’émouvant désir d’inconnu dont son âme était frémissante ; jamais il n’avait palpité davantage sous les souffles aventureux ; jamais il n’avait éprouvé, plus amère et plus désolante, cette sensation d’ennui qui le laissait retomber sur lui-même, inerte et désemparé, à la pensée de passer sa vie à la même place.