Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, I.djvu/416

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Arrivé à l’armée la veille de la bataille de Marengo, il y commanda la réserve qui changea la face des affaires. Les ennemis avaient tourné nos ailes et enfoncé notre cavalerie, lorsque ses deux divisions arrivèrent à la course d’une distance de deux lieues. Bientôt les Autrichiens sont repoussés ; Desaix se trouve vis-à-vis d’une colonne de 5000 grenadiers hongrois ; il marche à sa rencontre, ne démasque son artillerie qu’à portée de pistolet, et par le plus terrible feu de mitraille, ébranle et arrête la colonne. Déjà l’aile gauche de l’armée ennemie est coupée, lorsqu’une balle frappe Desaix au milieu de la poitrine. Il tombe dans les bras du colonel Lebrun et expire en laissant tomber, dit-on, ces paroles : « Allez dire au premier Consul que je meurs avec le regret de ne pas avoir assez fait pour vivre dans la postérité. » — Le même jour, à la même heure, Kléber périssait assassiné au Caire.

On fait mourir Desaix de plusieurs manières : Walter-Scott par une balle à la tête ; le Mémorial de Sainte-Hélène par un boulet de canon ; les Mémoires de Napoléon par une balle au cœur ; le général Mathieu Dumas, Simien Despréaux, qui a écrit son éloge, et Decayrol qui l’a fait embaumer à Milan, le font mourir par un coup de feu dans la poitrine. Cette version paraît la véritable ; mais Desaix a-t-il pu parler et a-t-on pu recueillir ses paroles ? Decayrol assure qu’il tomba sans témoins aucuns, et que, sa division ayant plié un moment, les colonnes autrichiennes ont dû lui passer sur le corps. Bourienne, témoin oculaire, affirma qu’il disparut au milieu d’une si grande confusion, que les circonstances de sa mort n’ont pu être constatées ; mais Bourienne est-il plus sincère que bienveillant ? Au reste, la mort de Desaix n’en est pas moins glorieuse.

Le premier Consul fit transporter au couvent du mont Saint-Bernard, la dépouille mortelle de Desaix. Son tombeau, dont les marbres ont été transportés à cette hauteur par les soins de l’habile ingénieur Polonceau, se trouve à l’entrée de l’église de l’hospice ; il est dû au ciseau de Moitte, célèbre sculpteur ; mort en 1810. .

Sa statue colossale en bronze décorait la place des Victoires ; mais elle a été renversée comme le monument élevé dans les plaines de Marengo. Néanmoins la reconnaissance nationale lui a consacré un cénotaphe entre Kehl et Strasbourg, et une fontaine, surmontée d’un buste, sur la place Dauphine, à Paris.

Desaix avait 32 ans lorsque la mort vint le surprendre. Général en chef et même conquérant, il n’avait pas d’argent, et l’on dut payer son écot à Neufbrisach. Voici en quels termes en parlait Napoléon :

« De tous les généraux que j’ai eus sous moi, Desaix et Kléber ont été ceux qui avaient le plus de talents ; surtout Desaix ; Kléber n’aimait la gloire qu’autant qu’elle lui procurait des richesses ; Desaix ne rêvait que la guerre et la gloire ; les richesses et les plaisirs n’étaient rien pour lui… C’était un petit homme d’un air sombre, à peu près d’un pouce moins grand que moi, toujours vêtu avec négligence, quelquefois même déchiré, méprisant les jouissances et même les commodités de la vie. Droit et honnête dans ses procédés, les Arabes l’avaient appelé le Sultan juste. La nature l’avait formé pour faire un grand général ; c’était un caractère tout à fait antique. Sa mort est la plus grande perte que j’aie faite. »

Quelques mots de Desaix achèveront de le peindre : un jour, à l’armée du Rhin, nos bataillons commençaient à plier ; le jeune héros se jette au-devant d’eux avec sa réserve : quelques officiers