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PLAISIRS ET PÉNALITÉS

de jouir des beaux paysages ; que, suivant le jargon de certains écrivains modernes, il est un pur gymnaste. Mais pourquoi donc un homme serait-il jugé incapable de jouir des plaisirs esthétiques, par le fait qu’il est en outre capable de jouir des plaisirs physiques et inesthétiques de l’escalade de rocher ?

Un montagnard bien connu affirme que les maîtres de l’art ne regardent pas l’action de « surmonter les obstacles physiques à l’aide d’exercices musculaires ou d’habileté » comme « le principal plaisir de l’alpinisme ». Mais en est-il bien ainsi ? Peut-on lire le grand ouvrage classique de la littérature alpine, « The Playground of Europe[1],» sans ressentir que l’assaut de ces obstacles était un des principaux facteurs des jouissances de l’auteur ? Peut-on lire les « Peaks, Passes and Glaciers[2] », et les premiers numéros de l’Alpine Journal sans ressentir que leurs écrivains divers se complaisaient dans la technique de leur art ! Il va sans dire que dans l’objection présentée plus haut l’habile intercalation des mots « principal plaisir » ouvre la porte à la discussion, mais après tout, qu’est-ce que cela signifie ? Comment peut-on mesurer et comparer un plaisir qui a son siège dans la vigueur et la gaîté, dans la bonne circulation du sang» avec un sentiment purement esthétique ? Il paraîtrait difficile d’arguer que, de ce qu’un homme cultive et accroît son habileté musculaire et sa connaissance de la montagne, il doive par cela même rapetisser et affaiblir le côté esthétique de sa nature. S’il en était ainsi, nous arriverions à magnifier le cagneux et l’impotent, le boiteux

  1. Par Leslie Stephen ; ce volume, outre d’intéressantes descriptions de courses alpines, a deux chapitres magistralement traités, le premier et le dernier, sur la psychologie de l’alpinisme ; il en est à sa quatrième édition, 1e et 2e en 1871, 3e en 1894 et 4e en 1899. — M. P.
  2. Voir la note 1 de la page 97. — M. P.