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LE CERVIN

changement d’orage ou de soleil ; l’observateur lui-même n’est pas moins inconstant. Quelque jour il sera dominé par l’impressionnante horreur du précipice, par la nudité décharnée d’effroyables murailles, ou par la course à la mort des rochers, alors que d’énormes blocs brisent leurs amarres et se précipitent dans les airs — véritables emblèmes d’un irrésistible courroux. Un autre jour il ne porte aucune attention à ces choses ; bercé par des teintes délicates d’opale et d’azur, il se complaît dans la douceur vaporeuse des vallées italiennes, dans la gracieuse course de la neige balayée par le vent, ou dans le charme simple des petites fleurs alpines nichées dans les fissures du granité. La montagne parfois peut imprimer son cachet sur celui qui en est le spectateur, mais souvent aussi le spectateur ne voit que ce qui s’harmonise avec lui-même. Un homme peut être assurément construit de telle façon que

« Une primulacée, au long de la rivière, Est simplement pour lui la jaune primevère »,


et ne peut en aucune circonstance être autre chose ; mais d’autres hommes, plus heureusement constitués et capables de se réjouir de la beauté du monde extérieur, ne sentiront guère « les souillures de la banalité », même s’ils connaissent avec précision la structure intime du rocher ou de la glace sur lesquels soleil ou nuages, brouillards, brise ou ciel bleu, viennent poser la gloire de leur irradiation.

Ce fut avec un vif intérêt pour la grande montagne, intensifié par ma première ascension, que je passai en 1879 le Col de Tiefenmatten[1]. Pendant que je descendais le

  1. Ce col (3.593 m. d’altitude) est situé à l’Ouest de la Dent d’Hérens et joint le Glacier de Za de Zan (Valpelline) au Glacier de Tiefenmatten. Se reporter à la carte esquisse ci-contre. — M. P.