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musée des familles.

— Ma chère Marie, répondit Trégolan, calmez-vous ! non, votre père n’est pas mort ! rien ne le prouve.

— Je vous répète qu’il est mort ! répéta la jeune fille sans vouloir l’entendre.

— Ma nièce, reprit Kernan, on n’envoie pas de ses nouvelles comme on veut, dans les temps de guerre ; au bout du compte, c’est une victoire qui vient d’être remportée sur les républicains.

— Non ! Kernan ! il ne faut pas espérer ! ma mère morte dans son château ! mon père mort sur le champ de bataille ! je suis seule au monde ! seule, seule !

Marie sanglotait. Cette épreuve l’avait brisée ; sa frêle nature ne pouvait résister à tant de coups répétés. Et quoiqu’elle n’eût aucune preuve de la mort de son père, comme il arrive dans certains moments de désespoir, elle se fit à cet endroit une conviction que rien ne put ébranler.

Cependant, lorsque Marie s’écria qu’elle était seule au monde, Kernan sentit une grosse larme couler le long de sa joue, son cœur saigna, et il ne put s’empêcher de dire :

— Ma nièce Marie, ton oncle est encore près de toi.

— Kernan, mon bon Kernan, répondit la jeune fille en serrant la main du Breton.

— Tu auras toujours un ami pour t’aimer, reprit-il.

— Deux, s’écria Trégolan, auquel cette parole échappait malgré lui ; deux ! ma chère Marie, car je vous aime !

— Monsieur Henry ! dit Kernan.

— Pardonnez-moi, Marie ; pardonnez-moi, Kernan, mais ces paroles m’étouffaient ! non ! ma chère bien-aimée n’est pas seule au monde ! non ! je serai heureux de lui consacrer ma vie tout entière.

Le retour du comte. Dessin de V. Foulquier.

— Henry ! s’écria la jeune fille.

— Oui, je l’aime, vous le savez, Kernan, et vous à qui son père l’a confiée, vous approuvez mon amour !

— Monsieur Henry, pourquoi dire ces choses, puisque… ?

— Ne craignez rien, Kernan, ni vous, ma chère Marie ; si j’ai parlé ainsi, c’est que je vais partir.

— Partir ! s’écria Marie.

— Oui, m’éloigner de vous, de vous que j’aime et de qui j’aurais voulu emporter quelque bonne parole. Si j’avais dû rester, j’aurais renfermé ce secret dans mon cœur, comme je l’avais promis à Kernan ; mais je pars, pour combien de temps ? je l’ignore ; et maintenant me pardonnez-vous d’avoir parlé ?

— Mais où allez-vous donc, Henry ? demanda Mlle de Chanteleine avec un accent qui pénétra l’âme du jeune homme.

— Où je vais ? Dans le Poitou, dans la Vendée, à Mortagne, partout où je pourrai rencontrer votre père, partout où je pourrai avoir de ses nouvelles, afin de vous dire si vous avez encore pour vous aimer sur terre un autre cœur que celui de Kernan et le mien !

— Quoi ! dit Kernan, vous voulez rejoindre le comte ?

— Oui, et j’y parviendrai, je le retrouverai, ou je mourrai à la peine !

— Henry ! s’écria la jeune fille.

— Eh bien, allez ! monsieur Henry, dit Kernan d’une