Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trempés de rosée, et je jurai qu’un des tyrans de ma patrie mourrait de ma main. J’étais un étudiant paisible, je ne m’occupais alors que des arts et des sciences, et il m’est impossible de dire comment cet étrange serment s’est fait en moi. Peut-être est-ce là ce qu’on éprouve quand on devient amoureux.

Philippe.

J’ai toujours eu confiance en toi, et cependant je crois rêver.

Lorenzo.

Et moi aussi. J’étais heureux alors ; j’avais le cœur et les mains tranquilles ; mon nom m’appelait au trône, et je n’avais qu’à laisser le soleil se lever et se coucher pour voir fleurir autour de moi toutes les espérances humaines. Les hommes ne m’avaient fait ni bien ni mal ; mais j’étais bon, et, pour mon malheur éternel, j’ai voulu être grand. Il faut que je l’avoue : si la Providence m’a poussé à la résolution de tuer un tyran, quel qu’il fût, l’orgueil m’y a poussé aussi. Que te dirais-je de plus ? Tous les Césars du monde me faisaient penser à Brutus.

Philippe.

L’orgueil de la vertu est un noble orgueil. Pourquoi t’en défendrais-tu ?

Lorenzo.

Tu ne sauras jamais, à moins d’être fou, de quelle nature est la pensée qui m’a travaillé. Pour comprendre l’exaltation fiévreuse qui a enfanté en moi le Lorenzo