Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/136

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une femme qui parle d’autre chose que de chiffons et de libertinage, cela ne se voit pas.

Le Duc.

Vous rêvez tout éveillée.

La Marquise.

Oui, par le ciel ! oui, j’ai fait un rêve ; hélas ! les rois seuls n’en font jamais : toutes les chimères de leurs caprices se transforment en réalités, et leurs cauchemars eux-mêmes se changent en marbre ! Alexandre ! Alexandre ! quel mot que celui-là : Je peux si je veux ! Ah ! Dieu lui-même n’en sait pas plus : devant ce mot, les mains des peuples se joignent dans une prière craintive, et le pâle troupeau des hommes retient son haleine pour écouter.

Le Duc.

N’en parlons plus, ma chère, cela est fatigant.

La Marquise.

Être un roi, sais-tu ce que c’est ? Avoir au bout de son bras cent mille mains ! Être le rayon du soleil qui sèche les larmes des hommes ! Être le bonheur et le malheur ! Ah ! quel frisson mortel cela donne ! Comme il tremblerait, ce vieux du Vatican, si tu ouvrais tes ailes, toi, mon aiglon ! César est si loin ! la garnison t’est si dévouée ! Et d’ailleurs on égorge une armée et l’on n’égorge pas un peuple. Le jour où tu auras pour toi la nation tout entière, et où tu seras la tête d’un corps libre, où tu diras : Comme le doge de Venise épouse l’Adriatique, ainsi je mets mon anneau d’or au doigt de