Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Comédies II.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tebaldeo.

Les nations paisibles et heureuses ont quelquefois brillé d’une clarté pure, mais faible. Il y a plusieurs cordes à la harpe des anges ; le zéphir peut murmurer sur les plus faibles, et tirer de leur accord une harmonie suave et délicieuse ; mais la corde d’argent ne s’ébranle qu’au passage du vent du nord. C’est la plus belle et la plus noble ; et cependant le toucher d’une rude main lui est favorable. L’enthousiasme est frère de la souffrance.

Lorenzo.

C’est-à-dire qu’un peuple malheureux fait les grands artistes. Je me ferai volontiers l’alchimiste de ton alambic ; les larmes des peuples y retombent en perles. Par la mort du diable ! tu me plais. Les familles peuvent se désoler, les nations mourir de misère, cela échauffe la cervelle de monsieur ! Admirable poète ! comment arranges-tu tout cela avec ta piété ?

Tebaldeo.

Je ne ris point du malheur des familles : je dis que la poésie est la plus douce des souffrances, et qu’elle aime ses sœurs. Je plains les peuples malheureux ; mais je crois, en effet, qu’ils font les grands artistes : les champs de bataille font pousser les moissons, les terres corrompues engendrent le blé céleste.

Lorenzo.

Ton pourpoint est usé ; en veux-tu un à ma livrée ?