Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/371

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un cadavre, si tu ne veux être ton propre spectre. Ô enfant, enfant ! meurs honnête ! qu’on puisse pleurer sur ton tombeau !

Je me jetai sur le pied du lit, plein d’un si affreux désespoir que ma raison m’abandonnait, et que je ne savais plus où j’étais ni ce que je faisais. Brigitte poussa un soupir, et, écartant le drap qui la couvrait, comme oppressée d’un poids importun, découvrit son sein blanc et nu.

À cette vue, tous mes sens s’émurent. Était-ce de douleur ou de désir ? je n’en sais rien. Une pensée horrible m’avait fait frémir tout à coup. — Eh quoi ! me dis-je, laisser cela à un autre ! mourir, descendre dans la terre, tandis que cette blanche poitrine respirera l’air du firmament ! Dieu juste ! une autre main que la mienne sur cette peau fine et transparente ! une autre bouche sur ces lèvres et un autre amour dans ce cœur ! un autre homme ici, à ce chevet ! Brigitte heureuse, vivante, adorée, et moi dans le coin d’un cimetière, tombant en poussière au fond d’une fosse ! Combien de temps pour qu’elle m’oublie, si je n’existe plus demain ? combien de larmes ? Aucune, peut-être ! Pas un ami, personne qui l’approche, qui ne lui dise que ma mort est un bien, qui ne s’empresse de l’en consoler, qui ne la conjure de n’y plus songer ! Si elle pleure, on voudra la distraire ; si un souvenir la frappe, on l’écartera ; si son amour me survit en elle, on l’en guérira comme d’un empoisonnement ; et elle-même,