Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/46

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nous trouvons, ceci pour sa beauté, ceci pour sa commodité, telle autre chose pour son antiquité, telle autre pour sa laideur même ; en sorte que nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche.

Tel était mon esprit ; j’avais beaucoup lu ; en outre, j’avais appris à peindre. Je savais par cœur une grande quantité de choses, mais rien par ordre, de façon que j’avais la tête à la fois vide et gonflée, comme une éponge. Je devenais amoureux de tous les poètes l’un après l’autre ; mais, étant d’une nature très impressionnable, le dernier venu avait toujours le don de me dégoûter du reste. Je m’étais fait un grand magasin de ruines, jusqu’à ce qu’enfin, n’ayant plus soif à force de boire la nouveauté et l’inconnu, je m’étais trouvé une ruine moi-même[1].

Cependant sur cette ruine il y avait quelque chose de bien jeune encore ; c’était l’espérance de mon cœur, qui n’était qu’un enfant.

Cette espérance, que rien n’avait flétrie ni corrompue, et que l’amour avait exaltée jusqu’à l’excès, venait tout à coup de recevoir une blessure mortelle. La per-

  1. Cette première partie du chapitre IV contient quelques souvenirs de la jeunesse d’Alfred de Musset et du temps de ses études, mais présentés à dessein sous un jour défavorable, et racontés avec une exagération qui en change complètement le caractère, de sorte que le héros de ce roman devient un homme très différent de l’auteur. Si Alfred de Musset eût songé à faire son portrait, en écrivant ce passage, il se serait étrangement calomnié, car il n’y eut jamais de jugement plus sûr ni de mémoire et d’esprit mieux ordonnés que les siens.