Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Mélanges de littérature et de critique.djvu/393

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soldat plus instruit que ses lieutenants, et dont la bonté était aussi franche que la malice était légère ? Loin de s’offenser de ses railleries, on le respectait et on le protégeait, et, quoi qu’il fît, on le laissait faire ; témoin ce jour où, pour se divertir, en même temps que pour se venger (je demande pardon de citer un trait d’enfant, mais ceux-là aussi peignent l’homme), poussé à bout par un maître d’équipage qui le traitait un peu trop en nouveau venu, il lui prit son chapeau, et l’alla planter sur la girouette du grand mât. Ce tour d’adresse, où il jouait sa vie, fut applaudi de la flotte entière. Le hardi matelot fut appelé et fêté sur tous les vaisseaux.

J’ai hâte d’ajouter que, deux ans après, ce même matelot, fort de nouvelles études, nommé, après ses examens, aspirant de troisième classe, faisait preuve de la même adresse, du même sang-froid et du même courage dans une circonstance tout an autre, au formidable combat naval du 13 prairial. Le commissaire de la Convention, Jean-Bon Saint-André, l’avait appelé près de lui, et le nouvel aspirant fut quelquefois assez heureux pour adoucir les rigueurs du conventionnel. Il était à bord du vaisseau le Patriote, et vers la fin de la bataille ce vaisseau, presque désemparé, et serré de près par trois navires anglais, se voyait forcé de se rendre. L’aspirant Dupaty supplia le capitaine d’attendre encore quelques instants ; il descendit dans la batterie, où cinq à six pièces seulement se trouvaient en état de tirer, et il en pointa une avec tant de précision, qu’il abattit le grand