Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/251

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aimer parce qu’ils se trouvent en diligence à côté d’une jolie femme. Tel était Eugène, et Marcel le savait ; aussi avait-il formé depuis longtemps un projet assez simple, qu’il croyait merveilleux et surtout infaillible pour vaincre la résistance de son compagnon.

Il avait résolu de donner un souper, et ne trouva rien de mieux que de choisir pour prétexte le jour de sa propre fête. Il fit donc apporter chez lui deux douzaines de bouteilles de bière, un gros morceau de veau froid avec de la salade, une énorme galette de plomb, et une bouteille de vin de Champagne. Il invita d’abord deux étudiants de ses amis, puis il fit savoir à mademoiselle Zélia qu’il y avait le soir gala à la maison, et qu’elle eût à amener mademoiselle Pinson. Elles n’eurent garde d’y manquer. Marcel passait, à juste titre, pour un des talons rouges du quartier Latin, de ces gens qu’on ne refuse pas ; et sept heures du soir venaient à peine de sonner, que les deux grisettes frappaient à la porte de l’étudiant, mademoiselle Zélia en robe courte, en brodequins gris et en bonnet à fleurs, mademoiselle Pinson, plus modeste, vêtue d’une robe noire qui ne la quittait pas, et qui lui donnait, disait-on, une sorte de petit air espagnol dont elle se montrait fort jalouse. Toutes deux ignoraient, on le pense bien, les secrets desseins de leur hôte.

Marcel n’avait pas fait la maladresse d’inviter Eugène d’avance ; il eût été trop sûr d’un refus de sa part. Ce fut seulement lorsque ces demoiselles eurent pris