Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes II.djvu/61

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d’abord en mémoire fut la dernière parole du ramier : Tu n’es qu’un merle, m’avait-il dit. — Ô mes chers parents ! pensai-je, vous vous êtes donc trompés ! Je vais retourner près de vous ; vous me reconnaîtrez pour votre vrai et légitime enfant, et vous me rendrez ma place dans ce bon petit tas de feuilles qui est sous l’écuelle de ma mère.

Je fis un effort pour me lever ; mais la fatigue du voyage et la douleur que je ressentais de ma chute me paralysaient tous les membres. À peine me fus-je dressé sur mes pattes, que la défaillance me reprit, et je retombai sur le flanc.

L’affreuse pensée de la mort se présentait déjà à mon esprit, lorsque, à travers les bluets et les coquelicots, je vis venir à moi, sur la pointe du pied, deux charmantes personnes. L’une était une petite pie fort bien mouchetée et extrêmement coquette, et l’autre une tourterelle couleur de rose. La tourterelle s’arrêta à quelques pas de distance, avec un grand air de pudeur et de compassion pour mon infortune ; mais la pie s’approcha en sautillant de la manière la plus agréable du monde.

— Eh, bon Dieu ! pauvre enfant, que faites-vous là ? me demanda-t-elle d’une voix folâtre et argentine.

— Hélas ! madame la marquise, répondis-je (car c’en devait être une pour le moins), je suis un pauvre diable de voyageur que son postillon a laissé en route, et je suis en train de mourir de faim.