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« Voulez-vous savoir, dit-il, comment je comprends l’équilibre européen, dans les graves circonstances où se trouve la politique en Angleterre et sur le continent ? Le voici. Je vais tâcher d’être clair. »

Le diplomate prit son assiette, la lança en l’air en lui imprimant un fort mouvement de rotation, puis il la reçut adroitement sur la pointe de son couteau, où l’assiette, toujours tournant, demeura en équilibre, au grand ébahissement des convives.

« Tel est, poursuivit Débureau, l’emblème de l’équilibre européen. Hors de là point de salut ! »

À l’étonnement succéda un éclat de rire général, qui redoubla quand la maîtresse de la maison eut nommé Débureau. Cependant la jeune Cauchoise, dont quelques-uns avaient remarqué la mine appétissante, ne faisait que des sottises depuis le commencement du dîner, laissant tomber tout ce qu’elle touchait, retournant les assiettes à l’envers en les posant sur la table, servant à l’un une fourchette quand il lui fallait un couteau, et réciproquement. Les reproches de sa maîtresse semblaient la troubler et augmenter sa maladresse. Mais, au moment où l’Anglais exprima d’une manière si énergique son sentiment sur l’équilibre européen, la jeune servante, pour mieux témoigner la part qu’elle prenait à la gaieté générale, s’empara d’une carafe, et, en affectant de rire à gorge déployée, versa de l’eau sur la tête de Lerminier, qui se mit à crier et à pester