Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/134

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inutile et que tu partiras, mais ce sera contre mon gré et sans ma permission. »

Un moment il eut l’espoir de vaincre cette résistance en expliquant dans quelles conditions ce voyage devait se faire ; mais, lorsqu’il vit que son insistance ne servait qu’à provoquer l’éruption des larmes, il changea tout à coup de résolution, et fit à l’instant le sacrifice de ses projets. — « Rassure-toi, dit-il à sa mère, je ne partirai point ; s’il faut absolument que quelqu’un pleure, ce ne sera pas toi. »

Il sortit, en effet, pour donner contre-ordre aux préparatifs de départ. Ce soir-là, vers neuf heures, notre mère était seule avec sa fille au coin du feu, lorsqu’on vint lui dire qu’une dame l’attendait à la porte dans une voiture de place et demandait instamment à lui parler. Elle descendit accompagnée d’un domestique. La dame inconnue se nomma ; elle supplia cette mère désolée de lui confier son fils, disant qu’elle aurait pour lui une affection et des soins maternels. Les promesses ne suffisant pas, elle alla jusqu’aux serments. Elle y employa toute son éloquence, et il fallait qu’elle en eût beaucoup, puisqu’elle vint à bout d’une telle entreprise. Dans un moment d’émotion le consentement fut arraché, et quoiqu’en eût dit Alfred, ce fut sa mère qui pleura.

Par une soirée brumeuse et triste, je conduisis les voyageurs jusqu’à la malle-poste, où ils montèrent au milieu de circonstances de mauvais augure.