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bonheur d’une vie entière, et il ne pouvait se résigner ni à un si grand sacrifice, ni à se laisser condamner sans avoir été entendu. La première fois qu’il revit cette femme après la publication de la Nuit de décembre, elle lui dit que la lecture de cette poésie l’avait émue et étonnée, qu’elle n’aurait pas cru l’auteur capable de ressentir tant de chagrin, qu’en le voyant malheureux, elle le plaignait sincèrement, — et, comme si elle eût craint de s’être trop avancée en parlant ainsi, elle ajouta qu’il n’en serait pourtant ni plus ni moins. — Alfred profita de l’occasion pour faire la peinture de ses regrets et de ses souffrances, puis il demanda la permission de retourner chez la dame, en ami, disant qu’elle pouvait le recevoir sans danger, puisqu’il n’en devait être ni plus ni moins. Elle se rendit à ces raisons. La permission fut accordée, et le pauvre garçon revint de cette soirée aussi content que s’il eût remporté une grande victoire.

En apprenant le succès dont il était si joyeux et dont il s’empressa de me faire la confidence, je n’hésitai point à lui déclarer que c’était là de fort mauvaise besogne : « Vous ne savez point, lui dis-je en plaisantant, ce que vous voulez ni l’un ni l’autre. Ta belle ressemble à un poisson qui viendrait mordre à l’hameçon en disant au pêcheur : n’espère pas m’attraper ; — et toi tu ressembles à un malade qui, ayant une gastrite, consent qu’on le soigne, à condi-