Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/239

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fera-t-elle ? La garderons-nous ? Ira-t-elle, comme sa sœur, se montrer en Allemagne, en Angleterre, en Italie ? Quelques poignées de louis de plus ou de moins lui feront-elles courir le monde ? Cherchera-t-elle sa gloire ailleurs, ou saurons-nous la lui donner ? Qu’est-ce à tout prendre qu’une réputation ? Qui la fait et qui en décide ? Voilà ce que je me disais l’autre soir en venant de voir l’Otello, après avoir assisté à ce triomphe, après avoir vu dans la salle bien des visages émus, bien des yeux humides ; et j’en demande pardon au parterre qui avait battu des mains si bravement, ce n’est pas à lui que cette question s’adressait. Je vous en demande pardon aussi, belles dames des avant-scènes, qui rêvez si bien aux airs que vous aimez, qui frappez quelquefois dans vos gants, et qui, lorsque le cœur vous bat aux accents du génie, lui jetez si noblement vos bouquets parfumés. Ce n’était pas non plus à vous que j’avais affaire, subtils connaisseurs, honnêtes gens qui savez tout, et que par conséquent rien n’amuse ! Je pensais à l’étudiant, à l’artiste, à celui qui n’a, comme on dit, qu’un cœur et peu d’argent comptant, à celui qui vient là une fois par extraordinaire un dimanche, et qui ne perd pas un mot de la pièce ; à celui pour qui les purs exercices de l’intelligence sont une jouissance cordiale et salutaire, qui a besoin de voir du bon et du beau, et d’en pleurer, afin d’avoir du courage en rentrant, et de travailler gaiement le lendemain, à celui enfin qui aimait la sœur aînée et qui sait le prix de la vérité[1]. »


Que de choses dans ce peu de mots ! Est-ce la faute du parterre, ou des belles dames, ou des connaisseurs blasés ? Est-ce la faute du spectateur modeste qui n’a qu’un cœur et peu d’argent comptant ? Est-ce la faute

  1. Débuts de mademoiselle Pauline Garcia. (Revue des Deux-Mondes du 1er novembre 1839.)