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l’esprit sous les ombrages de la forêt. Il rentra chez lui fort agité. Sa muse l’y attendait pour l’inviter au travail. Il voulut la fêter comme aux plus beaux jours, en lui offrant le grand éclairage et le petit souper. On aurait dit une entrevue d’amants réconciliés. La muse, touchée de cet accueil, s’abandonna sans réserve. Des stances entières coulaient sur le papier d’un seul jet. Le poète ne se coucha qu’aux premières lueurs du matin, et l’inspiration se soutint même pendant le sommeil, car, en s’éveillant, il courut reprendre la plume. Le Souvenir parut dans la Revue le 15 février 1841.

Quand il eut reçu les félicitations de sa mère, celles de son ami Tattet et la lettre de sa marraine qui, en pareille circonstance, ne lui manqua jamais, Alfred me dit : « C’est tout ce qui me reviendra de mon sacrifice au public. J’ai livré aux bêtes mon cœur tout saignant. Je m’irrite à la pensée qu’un étourdi ou un sot peut réciter, s’il lui plaît, comme une chanson, ces deux vers :


Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte, au fond de son tombeau.


« J’ai prononcé ces mots-là seul, au milieu du silence de la nuit, et les voilà jetés en pâture aux badauds ! Est-ce qu’il n’aurait pas été temps après ma mort ? Heureusement, tu verras que personne n’en dira mot. »