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Félix Bonnaire vint le voir une fois au moins par semaine pendant quinze ans, et ne fut pas plus avant dans sa confiance le dernier jour que le premier. Avec M. Charpentier, qui lui répétait ce qu’on disait ailleurs, Alfred de Musset joua, pendant dix-sept ans que durèrent leurs relations d’affaires, une comédie dont nous avons ri plus d’une fois ensemble. Cette comédie consistait à démontrer par toutes sortes de raisons que ses ouvrages ne vivraient point, et qu’on les oublierait après sa mort.

Quelques grands poètes ont fait exception à la règle générale posée par le marquis de Manzo et par Thomas Moore. Gœthe entre autres s’est appliqué à se rendre maître de lui-même, et il y a si bien réussi qu’on lui en a fait un reproche. Qui sait si le plus grand esprit de l’Allemagne, qu’on a tant accusé d’insensibilité, n’a pas compris qu’il ne pouvait échapper au malheur des poètes qu’en domptant son cœur ? Assurément, le Tasse n’aurait pas été enfermé dans son cabanon s’il eût été maître de lui comme Gœthe ; et peut-être Gœthe qui, par parenthèse, a écrit un drame de Torquato Tasso, aurait-il couru le risque de se faire enfermer comme son héros et de passer pour fou, s’il n’eût imposé silence à son cœur au milieu des délices de la cour de Weimar.

Quand même il l’eût tenté, Alfred de Musset n’aurait pas pu se donner le front impassible de Gœthe ;