Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/36

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j’expliquais à ma manière, nous représenta d’abord le plus beau soldat, le guerrier toujours victorieux. Avant de savoir ce que c’était que le génie, je ne manquai pas de considérer le personnage comme infaillible en toutes choses, et mon frère le crut tel sur ma parole. Dans notre esprit, l’empereur avait toujours raison. Les neiges de la Russie l’avaient vaincu, il est vrai ; mais les neiges avaient tort, et, plutôt que de reconnaître une imprudence ou une faute dans la vie du héros, nous aurions fait sans hésiter le procès au bon Dieu lui-même. Notre idolâtrie n’en vint pas à cette extrémité, parce que nous trouvâmes parmi les mortels assez de gens à mettre en accusation. Un jour, on apporta dans notre maison un sac de farine qu’on déposa dans un coin de l’office. L’empereur, disait-on, allait venir défendre Paris, et il fallait s’attendre aux souffrances d’une ville assiégée. Ces précautions nous étonnèrent : si l’empereur venait au secours de Paris, que pouvait-on craindre ? N’était-il pas évident que l’ennemi ne le prendrait pas ? Cependant l’empereur n’arrivait point. Un matin, notre oncle Desherbiers partit, le fusil sur l’épaule, pour aller combattre à la barrière. Dans la journée, le canon gronda ; toutes les servantes étaient dans la rue, écoutant le bruit de la bataille. Le bruit s’éteignit. Notre oncle rentra, noir de poudre, les cheveux et les vêtements en désordre ; quelques jours après, le nom de Marmont vola de bouche en bouche, accom-