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partement de la rue Cassette, nous y étions comme des sauvageons en serre chaude. Alfred eut des accès de manie, causés par le manque d’air et d’espace, et qui ressemblaient assez à ce qu’on raconte des pâles couleurs des jeunes filles. Dans un seul jour, il brisa une des glaces du salon avec une bille d’ivoire, coupa des rideaux neufs avec des ciseaux et colla un large pain à cacheter rouge sur une grande carte d’Europe au beau milieu de la mer Méditerranée. Ces trois désastres ne lui attirèrent pas la moindre réprimande, parce qu’il s’en montra consterné. C’est moi qui me chargeai d’en perpétuer le souvenir. Dans nos conciliabules, lorsqu’il me demandait mon avis sur une chose faite que je n’approuvais pas, je lui disais : « La glace est brisée, n’y pensons plus ; tâche au moins de ne pas couper les rideaux et de ne pas coller de pain à cacheter dans la mer Méditerranée. » Présentés sous cette forme, les avertissements le faisaient rire, et il écoutait le reste avec patience.

Parmi les livres de mon grand-père Desherbiers, je trouvai un jour la légende des quatre fils Aymon. Cette lecture me plongea dans une rêverie profonde. Un monde nouveau s’ouvrait à moi : celui de la chevalerie. Au premier mot que j’en dis à mon frère, il s’enflamma. Nous demandâmes à grands cris des romans. On nous donna la Jérusalem délivrée. Nous n’en fîmes qu’une bouchée. Il nous fallut le Roland furieux, et puis Amadis, Pierre de Provence, Gérard de