Page:Musset - Biographie d’Alfred de Musset, sa vie et ses œuvres.djvu/80

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sait, s’échauffant, se livrant sans réserve au plaisir de l’admiration, et finissant par examiner et approfondir. Dans ce double exercice de facultés qui semblent s’exclure, l’enthousiasme et la pénétration, il acquit non seulement en littérature, mais dans tous les arts, une solidité de jugement telle que, s’il n’avait pas eu autre chose de mieux à faire, il aurait pu être un des critiques les plus forts de son temps.

Pour suivre le nouveau plan d’études qu’il s’était tracé, Alfred mena de front la lecture des écrivains étrangers avec le droit, le dessin et la musique. Rebuté par l’aridité du droit, il voulut essayer de la médecine ; mais aux leçons d’anatomie descriptive de M. Bérard, la dissection des cadavres lui inspira un dégoût insurmontable. Son père, ne redoutant pour lui que l’oisiveté, ne le pressait point encore de choisir un état. Ce fut l’étudiant lui-même qui s’alarma en découvrant qu’il n’avait aucun goût pour les deux carrières les plus recherchées de la jeunesse. Pendant plusieurs jours, il demeura enfermé dans sa chambre, en proie aux réflexions les plus tristes, et quand je lui demandai la cause de cette humeur sombre : « Jamais, me répondit-il, je ne serai bon à rien ; jamais je n’exercerai aucune profession. L’homme est déjà trop peu de chose sur ce grain de sable où nous vivons ; bien décidément je ne me résignerai jamais à être une espèce d’homme particulière. »

Il ne se doutait guère que dans peu de temps il