Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/144

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qu’une femme de trente. La liberté dont les hommes jouissent les mène bien plus vite au fond de toutes choses ; ils courent sans entraves à tout ce qui les attire ; ils essaient de tout. Dès qu’ils espèrent, ils se mettent en marche ; ils vont, ils s’empressent. Arrivés au but, ils se retournent ; l’espérance est restée en route, et le bonheur a manqué de parole. » Comme je parlais ainsi nous étions au sommet d’une petite colline qui descendait dans la vallée ; madame Pierson, comme invitée par la pente raide, se mit à sauter légèrement. Sans savoir pourquoi, j’en fis autant qu’elle ; nous nous mîmes à courir sans nous quitter le bras ; l’herbe glissante nous entraînait. Enfin, comme deux oiseaux étourdis, en sautant et en riant, nous nous trouvâmes au bas de la montagne. « Voyez ! dit madame Pierson ; j’étais fatiguée tout à l’heure, maintenant je ne le suis plus. Et voulez-vous m’en croire ? ajouta-t-elle d’un ton charmant ; traitez un peu votre expérience comme je traite ma fatigue ; nous avons fait une bonne course, et nous en souperons de meilleur appétit. » CHAPITRE V J’allai la voir le lendemain. Je la trouvai à son piano, la vieille tante brodant à la fenêtre, sa petite chambre remplie de fleurs, le plus beau soleil du monde dans ses jalousies, et une grande volière d’oiseaux à côté d’elle. Je m’attendais à voir en elle presque une religieuse, du moins une de ces femmes de province qui ne savent rien