Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/149

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et je croirai que le bonheur ne m’a pas tout à fait oublié. » Elle me tendit la main, et je la touchai avec respect, n’osant la porter à mes lèvres. Le soir venu, je rentrai chez moi, fermai ma porte et me mis au lit. J’avais devant les yeux une petite maison blanche ; je me voyais sortant après dîner, traversant le village et la promenade, et allant frapper à la grille. « Ô mon pauvre cœur ! m’écriai-je, Dieu soit loué ! tu es jeune encore ; tu peux vivre, tu peux aimer ! » CHAPITRE VI J’étais un soir chez madame Pierson. Plus de trois mois s’étaient passés, durant lesquels je l’avais vue presque tous les jours ; et de ce temps, que vous en dirai-je, sinon que je la voyais ? « Être avec les gens qu’on aime, dit La Bruyère, cela suffit ; rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d’eux, tout est égal. » J’aimais. Depuis trois mois nous avions fait ensemble de longues promenades ; j’étais initié dans les mystères de sa charité modeste ; nous traversions les sombres allées, elle sur un petit cheval, moi à pied, une baguette à la main ; ainsi, moitié contant, moitié rêvant, nous allions frapper aux chaumières ; il y avait un petit banc à l’entrée du bois, où j’allais l’attendre après dîner ; nous nous trouvions de cette sorte comme par hasard et régulièrement. Le matin, la musique, la lecture ;