Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/179

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quoi dire, pour se donner et se donner encore, elle, corps et âme, et tout ce qu’elle avait.

J’étais couché sur le sofa ; je sentais tomber et se détacher de moi une mauvaise heure de ma vie passée, à chaque mot qu’elle disait. Je regardais l’astre de l’amour se lever sur mon champ, et il me semblait que j’étais comme un arbre plein de sève, qui secoue au vent ses feuilles sèches pour se revêtir d’une verdure nouvelle.

Elle se mit au piano et me dit qu’elle allait me jouer un air de Stradella. J’aime par-dessus tout la musique sacrée, et ce morceau, qu’elle m’avait déjà chanté, m’avait paru très beau. « Eh bien ! dit-elle quand elle eut fini, vous vous y êtes bien trompé ; l’air est de moi, et je vous en ai fait accroire.

— Il est de vous ?

— Oui, et je vous ai conté qu’il était de Stradella pour voir ce que vous en diriez. Je ne joue jamais ma musique, quand il m’arrive d’en composer ; mais j’ai voulu faire un essai, et vous voyez qu’il m’a réussi, puisque vous en étiez la dupe. »

Monstrueuse machine que l’homme ! Qu’y avait-il de plus innocent ? Un enfant un peu avisé eût imaginé cette ruse pour surprendre son précepteur. Elle en riait de bon cœur en me le disant ; mais je sentis tout à coup comme un nuage qui fondait sur moi ; je changeai de visage. « Qu’avez-vous, dit-elle, qui vous prend ?

— Rien ; jouez-moi cet air encore une fois. »

Tandis qu’elle jouait, je me promenais de long en large, je passais ma main sur mon front comme pour en écarter un brouillard, je frappais du pied, je haussais les épaules de ma propre démence ; enfin je m’assis à terre sur un coussin qui était tombé ; elle vint à moi. Plus