Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/221

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CHAPITRE VI

C’était en effet Mercanson qui avait raconté dans le village et dans les châteaux environnants mon entretien avec lui sur Dalens, et les soupçons que, malgré moi, je lui avais laissé voir clairement. On sait comment dans les provinces les propos médisants se répètent, volent de bouche en bouche, et s’exagèrent ; ce fut alors ce qui arriva.

Brigitte et moi nous nous trouvions l’un vis-à-vis de l’autre dans une position nouvelle. Quelque faiblesse qu’elle eût mise dans sa tentative de départ, elle ne l’en avait pas moins faite. C’était sur ma prière qu’elle était restée ; il y avait là une obligation. Je m’étais engagé à ne troubler son repos ni par ma jalousie ni par ma légèreté ; chaque parole dure ou railleuse qui m’échappait était une faute ; chaque regard triste qu’elle m’adressait était un reproche senti et mérité.

Son bon et simple naturel lui fit trouver d’abord à sa solitude un charme de plus ; elle pouvait me voir à toute heure et sans être obligée à aucune précaution. Peut-être se livra-t-elle à cette facilité pour me prouver qu’elle préférait son amour à sa réputation ; il semblait qu’elle se repentît de s’être montrée sensible aux discours des médisants. Quoi qu’il en soit, au lieu de veiller sur nous et de nous défendre de la curiosité, nous prîmes au contraire un genre de vie plus libre et plus insouciant que jamais.

J’allais chez elle à l’heure du déjeuner ; n’ayant rien à faire dans la journée, je ne sortais qu’avec elle. Elle me retenait à dîner, la soirée s’ensuivait par conséquent ;