Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/226

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sans cesse ; mes accès de méchanceté et d’ironie prenaient un caractère sombre et intraitable. J’avais, au milieu de mes folies, de véritables accès de fièvre, qui me frappaient comme des coups de foudre ; je m’éveillais tremblant de tous mes membres et couvert d’une sueur froide. Un mouvement de surprise, une impression inattendue me faisait tressaillir jusqu’à effrayer ceux qui me voyaient. Brigitte, de son côté, quoiqu’elle ne se plaignît pas, portait sur le visage des marques d’une altération profonde. Quand je commençais à la maltraiter, elle sortait sans mot dire et s’enfermait. Dieu merci, je n’ai jamais porté la main sur elle ; dans mes plus grands accès de violence, je serais plutôt mort que de la toucher.

Un soir, la pluie fouettait les vitres ; nous étions seuls, les rideaux fermés. « Je me sens d’humeur joyeuse, dis-je à Brigitte, et cependant ce temps horrible m’attriste malgré moi. Il ne faut pas nous laisser faire, et, si vous êtes de mon avis, nous nous divertirons en dépit de l’orage. »

Je me levai et j’allumai toutes les bougies qui se trouvaient dans les flambeaux. La chambre, assez petite, en fut tout à coup éclairée comme d’une illumination. En même temps, un feu ardent (nous étions à l’hiver) y répandait une chaleur étouffante. « Allons, dis-je, qu’allons-nous faire en attendant qu’il soit temps de souper ? »

Je pensai qu’alors, à Paris, c’était le temps du carnaval. Il me sembla voir passer devant moi les voitures de masques qui se croisent aux boulevards. J’entendais la foule joyeuse se renvoyer à l’entrée des théâtres mille propos étourdissants ; je voyais les danses lascives, les costumes