Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/228

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de mourir quand je la quitterais. Ses dispositions étaient faites ; elle rendait compte, jour par jour, du sacrifice de sa vie. Ce qu’elle avait perdu, ce qu’elle avait espéré, l’isolement affreux où elle se trouvait jusque dans mes bras, la barrière toujours croissante qui s’interposait entre nous, les cruautés dont je payais son amour et sa résignation, tout cela était raconté sans une plainte ; elle prenait à tâche, au contraire, de me justifier. Enfin elle arrivait au détail de ses affaires personnelles et réglait ce qui regardait ses héritiers. C’était par le poison, disait-elle, qu’elle en finirait avec la vie. Elle mourrait de sa propre volonté, et défendait expressément que sa mémoire servît jamais de prétexte à quelque démarche contre moi. « Priez pour lui ! » telle était sa dernière parole.

Je trouvai dans l’armoire, sur le même rayon, une petite boîte que j’avais déjà vue, pleine d’une poudre fine et bleuâtre, semblable à du sel.

« Qu’est-ce que c’est que cela ? » demandai-je à Brigitte en portant la boîte à mes lèvres. Elle poussa un cri terrible et se jeta sur moi.

« Brigitte, lui dis-je, dites-moi adieu. J’emporte cette boîte ; vous m’oublierez et vous vivrez, si vous voulez m’épargner un meurtre. Je partirai cette nuit même, et ne vous demande point de pardon ; vous me l’accorderiez que Dieu n’en voudrait pas. Donnez-moi un dernier baiser. »

Je me penchai sur elle et la baisai au front. « Pas encore ! » s’écria-t-elle avec angoisse. Mais je la repoussai sur le sofa et m’élançai hors de la chambre.

Trois heures après j’étais prêt à partir, et les chevaux de poste étaient arrivés. La pluie tombait toujours, et je montai à tâtons dans la voiture. Au même instant,