Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/262

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une seconde tasse, et m’assurai qu’il n’y en avait point.

« Est-ce que Smith est resté tard ? demandai-je à Brigitte.

— Il est resté jusqu’à minuit.

— Vous êtes-vous couchée seule, ou avez-vous appelé quelqu’un pour vous mettre au lit ?

— Je me suis couchée seule ; tout le monde dormait dans la maison. »

Je cherchais toujours, et les mains me tremblaient. Dans quelle comédie burlesque y a-t-il un jaloux assez sot pour aller s’enquérir de ce qu’une tasse est devenue ? À propos de quoi Smith et madame Pierson auraient-ils bu dans la même tasse ? la noble pensée qui me venait là !

Je tenais cependant la tasse, et j’allais et venais par la chambre. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire, et je la lançai sur le carreau. Elle s’y brisa en mille pièces, que j’écrasai à coups de talon.

Brigitte me vit faire sans me dire un seul mot. Pendant les deux jours suivants elle me traita avec une froideur qui avait l’air de tenir du mépris, et je la vis affecter avec Smith un ton plus libre et plus bienveillant qu’à l’ordinaire. Elle l’appelait Henri, de son nom de baptême, et lui souriait familièrement.

« J’ai envie de prendre l’air, dit-elle après dîner ; venez-vous à l’Opéra, Octave ? je suis d’humeur à y aller à pied.

— Non, je reste ; allez-y sans moi. »

Elle prit le bras de Smith et sortit. Je restai seul toute la soirée ; j’avais du papier devant moi et je voulais écrire pour fixer mes pensées, mais je ne pus en venir à bout.