Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le dos pendant qu’il me parlait ; puis je le voyais, d’un air de surprise, venir à moi en me tendant la main. Tantôt, quand j’étais seul la nuit et que tout dormait dans la maison, je me sentais la tentation d’aller au secrétaire de Brigitte, et de lui enlever ses papiers. Je fus obligé une fois de sortir pour y résister. Que puis-je dire ? je voulais un jour les menacer, un couteau à la main, de les tuer s’ils ne me disaient par quelle raison ils étaient si tristes ; un autre jour, c’était contre moi que je voulais tourner ma fureur. Avec quelle honte je l’écris ! Et qui m’aurait demandé au fond ce qui me faisait agir ainsi, je n’aurais su que lui répondre.

Voir, savoir, douter, fureter, m’inquiéter et me rendre misérable, passer les jours l’oreille au guet et la nuit me noyer de larmes, me répéter que j’en mourrais de douleur et croire que j’en avais sujet, sentir l’isolement et la faiblesse déraciner l’espoir dans mon cœur, m’imaginer que j’épiais, tandis que je n’écoutais dans l’ombre que le battement de mon pouls fiévreux ; rebattre sans fin ces phrases plates qui courent partout : « La vie est un songe, il n’y a rien de stable ici-bas » ; maudire, enfin blasphémer Dieu en moi, par ma misère et mon caprice, voilà quelle était ma jouissance, la chère occupation pour laquelle je renonçais à l’amour, à l’air du ciel, à la liberté !

Éternel Dieu, la liberté ! oui, il y avait de certains moments où, malgré tout, j’y pensais encore. Au milieu de tant de démence, de bizarrerie et de stupidité, il y avait en moi des bondissements qui m’enlevaient tout à coup à moi-même. C’était une bouffée d’air qui me frappait le visage quand je sortais de mon cachot ; c’était une page d’un livre que je lisais, quand toutefois