Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/280

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Elle me regarda d’un air étonné.

« Eh, mon Dieu ! oui, continuai-je, il faut pourtant qu’un jour ou l’autre nous en venions à nos vérités.

Tenez, pour vous donner l’exemple, j’ai quelque envie de commencer ; cela vous rendra confiante, et il n’y a rien de tel que de s’entendre entre amis. »

Sans doute qu’en parlant ainsi mon visage me trahissait ; Brigitte ne semblait pas m’entendre et continuait de se promener.

« Savez-vous bien, lui dis-je, qu’après tout voilà six mois que nous sommes ensemble ? Le genre de vie que nous menons n’a rien qui ressemble à ce dont on peut rire. Vous êtes jeune, je le suis aussi ; s’il arrivait que le tête-à-tête cessât d’être de votre goût, seriez-vous femme à me le dire ? En vérité, si cela était, je vous l’avouerais franchement. Et pourquoi pas ? est-ce un crime d’aimer ? ce ne peut donc pas être un crime de moins aimer, ou de n’aimer plus. Qu’y aurait-il d’étonnant qu’à notre âge on eût besoin de changement ? »

Elle s’arrêta. « À notre âge ! dit-elle. Est-ce que c’est à moi que vous vous adressez ? Quelle comédie jouez-vous aussi ? »

Le sang me monta au visage. Je lui saisis la main. « Assieds-toi là, lui dis-je, et écoute-moi.

— À quoi bon ? ce n’est pas vous qui parlez. »

J’étais honteux de ma propre feinte, et j’y renonçai.

« Écoutez-moi, répétai-je avec force, et venez, je vous en supplie, vous asseoir ici près de moi. Si vous voulez garder le silence, faites-moi du moins la grâce de m’entendre.

— J’écoute ; qu’avez-vous à me dire ?

— Si on me disait aujourd’hui : Vous êtes un lâche ; j’ai vingt-deux ans et je me suis déjà battu ; ma vie entière, mon