Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/287

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s’en guérir. Tout cela, vois-tu, c’est un jeu que nous jouons ; mais notre cœur et notre vie servent d’enjeu, et c’est horrible. Veux-tu mourir ? ce sera plus tôt fait. Qui suis-je donc pour qu’on doute de moi ? »

Elle s’arrêta devant la glace. « Qui suis-je donc ? répétait-elle, qui suis-je donc ? Y pensez-vous ? regardez donc ce visage que j’ai.

« Douter de toi ! s’écria-t-elle, en s’adressant à sa propre image ; pauvre tête pâle, on te soupçonne ! pauvres joues maigres, pauvres yeux fatigués, on doute de vous et de vos larmes ! Eh bien ! achevez de souffrir ; que ces baisers qui vous ont desséchés vous ferment les paupières. Descends dans cette terre humide, pauvre corps vacillant qui ne te soutiens plus. Quand tu y seras, on le croira peut-être, si le doute croit à la mort. Ô triste spectre ! sur quelle rive veux-tu donc errer et gémir ? quel est ce feu qui te dévore ? Tu fais des projets de voyage, toi qui as un pied dans le tombeau ! Meurs ! Dieu t’en est témoin, tu as voulu aimer ! Ah ! quelles richesses, quelles puissances d’amour on a éveillées dans ton cœur ! Ah ! quel rêve on t’a laissé faire, et de quels poisons on t’a tuée ! Quel mal avais-tu fait pour que l’on mît en toi cette fièvre ardente qui te brûle ? quelle fureur l’anime donc, cette créature insensée qui te pousse du pied dans le cercueil, tandis que ses lèvres te parlent d’amour ? Que deviendras-tu donc, si tu vis encore ? N’est-il pas temps ? n’en est-ce pas assez ? Quelle preuve de ta douleur donneras-tu pour qu’on y croie, quand toi, toi-même, pauvre preuve vivante, pauvre témoin, on ne te croit pas ? À quelle torture veux-tu te soumettre que tu n’aies pas déjà usée ? par quels tourments, quels sacrifices apaiseras-tu l’avide, l’insatiable amour ? Tu ne seras qu’un objet