Page:Musset - La Confession d’un enfant du siècle, 1840.djvu/312

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Ce mélange de force et de faiblesse, de joie et de chagrin, de trouble et de sérénité, eût été impossible à comprendre pour un spectateur indifférent ; on eût pu les croire tour à tour les deux êtres les plus heureux de la terre et les plus malheureux ; mais en ignorant leur secret on eût senti qu’ils souffraient ensemble, et, quelle que fût leur peine mystérieuse, on voyait qu’ils avaient posé sur leurs chagrins un sceau plus puissant que l’amour lui-même, l’amitié. Tandis qu’ils se serraient la main, leurs regards restaient chastes ; quoiqu’ils fussent seuls, ils parlaient à voix basse. Comme accablés par leurs pensées, ils posèrent leurs fronts l’un contre l’autre, et leurs lèvres ne se touchèrent pas. Ils se regardaient d’un air tendre et solennel, comme les faibles qui veulent être bons. Lorsque l’horloge sonna une heure, la femme poussa un profond soupir, et se détournant à demi :

« Octave, dit-elle, si vous vous trompiez !

— Non, mon amie, répondit le jeune homme, soyez-en sûre, je ne me trompe pas. Il vous faudra souffrir beaucoup, longtemps peut-être, et à moi toujours ; mais nous en guérirons tous deux, vous avec le temps, et moi avec Dieu.

— Octave, Octave, répéta la femme, êtes-vous sûr de ne pas vous tromper ?

— Je ne crois pas, ma chère Brigitte, que nous puissions nous oublier ; mais je crois que dans ce moment nous ne pouvons nous pardonner encore, et c’est ce qu’il faut cependant à tout prix, même en ne nous revoyant jamais.

— Pourquoi ne nous reverrions-nous pas ? Pourquoi un jour… Vous êtes si jeune ! »